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Le blog d'Andronicus Khandjani

Je veux faire connaitre la Bible à mes contemporains. A travers la Bible, Dieu parle aux hommes, sans ce Message l'humanité perd sa part d'humanité

Le procès de Jésus

L'article a été publié sur Voxdei à l'occasion de la diffusion du Christ de Mel Gibson, il reste néanmoins d'actualité compte tenu de l'impact que continue d'avoir Corpus Christi auquel il est fait également référence ici. Nous avons décidé donc de le reprendre ici.

 

par Andronicus Khandjani


L’annonce de la diffusion de la Passion de Christ déchaîne les passions au niveau de l’Hexagone. Opposants et partisans du film se succéderont sans doute encore longtemps pour approuver ou condamner l’initiative de Mel Gibson. Au-delà de ce débat s'en profile un autre sur la véracité du récit biblique, alors qu'est diffusé sur Arte un nouvel épisode de l’émission Corpus Christi, ou de son avatar 2004. Quels crédits donner aux propos des auteurs de cette émission populaire, mais aussi populiste ?

Nous allons tenter d’y répondre en resituant le débat dans son contexte passionné mais aussi en soumettant les propos des auteurs de ce simulacre de réalisme, tels que reproduits dans les colonnes de Libé, à un une analyse critique…

D’abord en tant qu’Iranien, je tiens à signaler que la manière dont Libération couvre l’événement me rappelle les méthodes unilatéralistes de notre sinistre quotidien "Keyhan", tristement célèbre dans mon pays pour son parti pris anti-démocratique et j’oserai donc vous conseiller de prendre pour modèle nos journaux réformistes qui s’imposent d’exprimer les opinions adverses et diverses, afin de laisser le jugement au bon sens du public.

Il est également intéressant de constater comment un quotidien qui alimente les sentiments antisémites caractéristiques de beaucoup d’Occidentaux par sa couverture partielle et même partiale de la crise proche-orientale veuille soudain accuser le réalisateur américain d’antisémitisme !

Ne faudrait-il pas dire qu’encore une fois, dans l’histoire, gentils et Juifs trouvent finalement un accord quand il s’agit de la "question Jésus"? Comment dès lors s’étonner qu’Hérode le Grand, ce "renard" d’origine iduméenne, ait pu réunir des notables juifs aux yeux de qui il était et restait un monstre? Et cela toujours à cause de la "question Jésus", dont voudrait se débarrasser de son propre aveu Jean Daniel? Ces réactions prouvent encore une fois la position des évangéliques lesquels, plutôt que d’accuser exclusivement les Juifs, ne font que souligner avec l'apôtre Pierre: "En effet, contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate se sont ligués dans cette ville avec les nations et avec les peuples d’Israël".

J’aimerais continuer en signalant que les scènes de haine décrite par les Evangiles ont toujours été caractéristiques du débat religieux proche et moyen-oriental où on voit assez souvent des foules haineuses dans les rues. Je ne suis donc pas dépaysé en considérant la narration des Evangiles et des Actes. Rien n’est exagéré et tout est à sa place dans la narration évangélique: l’hypocrisie criminelle de l’Occidental Ponce Pilate d’une part, et le fanatisme et l’opportunisme religieux de l’Oriental, en l’occurrence du Juif dans le récit évangélique mais aussi des Jordaniens, des Libanais, des Iraniens ! Face à Christ, le roi est nu. Le docteur Jekyll se doit de céder la place à Mr Hyde !


Mais permettez-moi de passer maintenant à l’analyse du texte, me fiant au bon sens de mon lecteur.

Le scénario de la condamnation
"Les Evangiles, affirme Jérôme Prieur, racontent qu'il y a eu une première condamnation à mort prononcée par le Sanhédrin, le tribunal juif. Mais le scénario le plus plausible est celui de Jean : Jésus aurait été arrêté par la garde du Temple de Jérusalem parce qu'il avait semé le trouble en chassant «les marchands du temple», ensuite livré aux grands prêtres."

 Selon les manuscrits que nous possédons, Jean rapporte un premier incident du Temple au début du ministère de Jésus. A cette époque Jésus n’est pas célèbre et les réactions sont moins vives. Le souvenir de cet événement est si oublié qu’il est difficile de trouver au moment de la comparution de Jésus quelques témoins capables de s’accorder sur la phrase rapportée dans Jean 2.19, au cours de cet événement.

L’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, quelques années plus tard, suivie d’une scène similaire provoque par contre une crise selon la narration synoptique (Marc 11.18). Luc fait aussi, quoique moins explicitement que Marc, un lien entre l’expulsion des marchands et la décision des Prêtres de liquider ou de faire liquider Jésus. Toujours est-il que Jésus n’est pas arrêté dans le Temple, du moins selon les narrations canoniques, contrairement à ce que rapporte M. Prieur. Notre spécialiste fait sans doute allusion à une narration johannique qui n'existe que dans son esprit, mais qui demeure inconnue des milieux scientifiques.


La langue
"Libération: Mel Gibson a tourné en araméen et en latin, est-ce authentique ?

Jérôme Prieur: C'est un leurre qui veut faire «film historique» : l'araméen que parlaient les Juifs en Galilée et le latin des fonctionnaires romains. Or, la langue de l'Empire romain était le grec, non le latin. Et les Evangiles ont été écrits en grec. Gibson mélange en fait des extraits des quatre Evangiles et les présente comme si c'était le récit linéaire d'un témoin oculaire qui aurait assisté au procès de Jésus et à la crucifixion."


Remarque: Je ne vois pas, en tant que journaliste, le rapport entre la question et la réponse. Jérôme Prieur semble assez pressé d’avancer d’autres incohérences. Gérard Mordillat conscient de l’inconsistance de la réponse ne se montre pas moins pressé quand en prenant la parole, il dit :

G.M. "Ce film est une farce, une bêtise absolue du point de vue de l'Histoire. Quelques exemples : Jésus qui parle latin avec Ponce Pilate…"

Réponse: Jésus parlait bien l’araméen et rien n’empêche que la conversation entre Jésus et Pilate se soit déroulée en latin, même si le grec restait la langue officielle et dominante de l’empire romain, notamment dans sa partie orientale. La scène n’a rien d’improbable même sauf si MM. Gérard Mordillat et Jérôme Prieur peuvent avancer des preuves historiques prouvant que Jésus ne pouvait s’exprimer en latin.  Sauf si nos chercheurs ont réussi à mettre en application les théories sur le voyage dans le temps, dans ce cas nous tous les historiens doivent leur demander audience...

La datation
"Entre le premier Evangile, celui de Marc, et le dernier, celui de Jean, trente ans se sont écoulés et, d'un texte à l'autre, on voit, par exemple, la figure de Ponce Pilate évoluer."

La rédaction du premier évangile peut bien se situer aux alentours 40 et l’obsession de vouloir les situer entre 70 et 90 s’explique surtout par des considérations plus rationalistes que rationnelles. Il faudrait faire abstraction de ces méthodes qui ne sont plus guère utilisées que dans les recherches bibliques de certains chercheurs pour obtenir des résultats dignes d’une critique objective et scientifique. Il s’agit sans doute d’une autre question qui demande d’être éclairée ailleurs.

Soulignons toutefois, qu’il est très difficile de parler d’évolution compte tenu de la concision caractéristique de la relation de Marc. Il est utile de préciser également que le Pilate de Marc cherche aussi à relâcher Jésus. Jean, le seul témoin oculaire qui met par écrit ces événements apporte naturellement davantage de détails que les autres. Luc pour sa part met en relief les manœuvres politiciennes de Pilate qui profite de l’occasion pour s’aménager un terrain de réconciliation avec Hérode. Matthieu quant à lui s’adresse à un milieu juif : il va donc souligner la responsabilité de la population judéenne dans ce crime afin de provoquer une métanoia.

D’ailleurs, convient-il de le souligner, au moment où nos "chercheurs" situent la rédaction des évangiles, le christianisme est hors-la-loi et persécuté, les évangélistes n’auraient donc aucune raison de présenter Ponce Pilate, prototype du persécuteur romain sous un jour favorable. Il suggère un antisémitisme venant des Juifs eux-mêmes. Un tel dessein supposerait une rédaction précédant la persécution sous Néron. Ceci pour dire que cette "construction" du personnage ne se trouve guère que dans la tête de quelques chercheurs conformistes.

Charpentier ?
G.M… "Charpentier", en hébreu, est une métaphore qui veut dire "le sage". Rien à voir avec le travail du bois !

Bravo ! Ce sage pouvait donc parler le latin… Mais attention on passe rapidement de l’image de "jeune trublion" chère à Prieur à celle de "sage" avec tout ce que cela comporte en termes d’incohérence. Pourquoi l’autorité romaine en voudrait-elle à un sage ? On retourne très rapidement et même forcément au scénario décrié : Ce sont des prêtres juifs que rebutait la sagesse de Jésus qui ont livré Jésus à l’autorité romaine en vue de son exécution[1].

Toujours est-il que c’est la garde au service du sacerdoce qui a, à l’initiative de Caïphe, mis la main sur Jésus à Gethsémani. Ce sont donc des prêtres qui ont livré Jésus à Pilate, ce avec l’intention de le faire exécuter. L’explication nous en est donné par l’Evangile de Jean : « Il ne nous est pas permis, dirent-ils, de mettre personne à mort. » En fait, la chose aurait été sans doute possible si le Grand Sanhédrin avait été unanime, mais certains membres pharisiens y voyaient déjà des vices de procédure. Tuer un homme célèbre, ce, contre l’avis de certains membres du Sanhédrin et contrairement aux lois de Rome, ne pouvait qu’avoir des conséquences fâcheuses pour le descendant d’une classe sacerdotale obscure qui devait tout à l’autorité romaine. Il fallait donc le présenter comme « un jeune trublion » et appuyer cette accusation. C’est un fait que semble reconnaître Prieur contrairement à Mordillat.

Les évangiles, documents historiques
Gérard Mordillat : "Aucun chercheur aujourd'hui dans le monde ne prend les Evangiles pour de l'Histoire".

Il s’agit sans doute des chercheurs qui se sont exprimés dans Corpus Christi. Comme le souligne si justement le professeur Baudin "le choix - très subjectif! - de ces spécialistes remet en cause la prétendue objectivité des auteurs, et la neutralité du point de vue que leur film exprime sur la question".[2] Si les évangiles n’ont pas l’ambition de faire de l’histoire, au sens moderne du terme, ils ne nous fournissent pas moins des informations objectives, et partant, historiques. C’est faire insulte à l’intelligence des hommes du 1er siècle que de déclarer qu’ils allaient recevoir des documents dont l’invraisemblance n’était que trop flagrante à en croire ces "spécialistes unanimes". Ils savaient d’expérience, du moins, davantage que quelques chercheurs contemporains. Ces hommes n’avaient sans doute pas ce grand besoin d’une lecture de Josephus qui nous caractérise aujourd’hui. Leurs informations sur les us et coutumes de l’empire romain était inévitablement et forcément plus complètes que les nôtres. Nous sommes réduits à des conjectures alors que les premiers lecteurs des évangiles n’étaient guère étrangers à ce qui leur était rapporté.

Quelques mots sur les expressions utilisés : Prieur cache difficilement son aversion pour Jésus. Il présente en effet Jésus comme un "jeune trublion" ou un simple "trublion", reprenant ainsi, du moins dans cette interview, de vieilles thèses abandonnées.

Son confrère, Mordillat, se complaît surtout dans des termes comme "bêtise absolue", "aucun chercheur", "unanimes" comme pour nous impressionner. Ces termes qui relèvent sans doute d’une stratégie de communication médiatique, sont plutôt emblématiques d’un siècle où l’on croyait trouver dans les recherches scientifiques des vérités absolues. On ne trouve pas, dans ses propos, la modestie qui caractérise le chercheur scientifique dans le contexte contemporain.

Loin d’être des chercheurs, les auteurs de Corpus Christi apparaissent plutôt comme des dogmatistes d’une idéologie hasardeuse.

On sent, on renifle ces méthodes douteuses caractéristiques des négationnistes aussi peu recommandables que Roger Garaudy et Robert Faurisson dont les incongruités tiennent désormais lieu de version officielle de la seconde guerre mondiale dans les capitales du Proche et Moyen-Orient antisémite.

Il n’y a pas lieu de se tromper : ces discours négationnistes, revêtus du vernis scientifique le plus léger, visent surtout un public non informé et dont la culture biblique va en s’amincissant.

Je conclurai par cette phrase de Daniel Bergèse : "L'obscurantisme ne réside pas dans la foi qui reçoit, avec confiance, les informations bibliques. Il commence lorsqu'une croyance entraîne un refus d'information et de confrontation."


[1] Mais il n’est pas besoin d’en arriver à là dans la mesure où le mot « charpentier » est mis, exclusivement, faut-il le souligner, dans la bouche des concitoyens de Jésus qui le désavouent.
[2] Frédéric Baudin, La figure de Jésus aujourd’hui(La Revue Réformée N° 202 - 1999)

http://www.voxdei.org/afficher_info.php?id=10310.15&highlight=prieur&c=non
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